La mondialisation des entreprises, la recherche de l’optimisation des coûts, mais également l’évolution des aspirations des salariés, ont conduit les entreprises à mettre en place de nouvelles structures organisationnelles qui sortent du cadre aujourd’hui relativement bien connu de l’expatriation et du détachement. Ces nouvelles formes de mobilité, qui entraînent des changements personnels souvent moins radicaux, requièrent néanmoins une attention particulière pour s’assurer du respect par les entreprises de leurs obligations sociales et fiscales.
Définition de la pluriactivité en matière de sécurité sociale
La pluriactivité telle que définie par le Règlement Européen n°883/2004 se caractérise par l’exercice d’activités dans deux ou plusieurs Etats membres. L’article 14§5 du Règlement d’application n°987/2005 vise plus spécifiquement les situations dans lesquelles une personne qui exerce simultanément, ou en alternance, pour le même employeur ou pour différents employeurs, une ou plusieurs activités différentes dans deux Etats membres ou plus. Les activités visées sont à la fois les activités salariées et les activités indépendantes. De fait du large champ d’application de cette définition, de nombreuses situations sont susceptibles d’être qualifiées de pluriactivité, générant pour les employeurs et les salariés concernés certaines obligations en application des Règlements Européens.
Ainsi, au-delà du classique « split payroll », dans lequel le salarié bénéficie d’au moins deux contrats de travail avec des employeurs situés dans différents Etats, la pluriactivité peut être caractérisée lorsqu’un salarié occupe des fonctions internationales et voyage hors de France pour se rendre dans un même Etat de façon régulière (par exemple à hauteur d’une semaine par mois), lorsqu’un salarié est mis partiellement à la disposition d’une société étrangère du même groupe que son employeur, ou encore dans les cas, particulièrement fréquents, où un salarié français se voit attribuer des mandats sociaux dans des sociétés étrangères du groupe.
Conséquences de la situation de pluriactivité
A titre de rappel, le Règlement n°883/2004 prévoit deux règles principales :
- Le principe de territorialité, suivant lequel un salarié est soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat dans lequel il exerce son activité ; et
- Le principe d’unicité de la législation applicable, en vertu duquel une même personne ne peut être soumise qu’à une seule loi de sécurité sociale au titre de toutes les activités professionnelles, salariées ou indépendantes, qu’elle exerce au sein de l’Union Européenne.
Les modalités de détermination de la législation applicable sont définies par le Règlement précité. Ainsi, une personne exerçant normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de ses activités dans cet Etat membre. L’activité est considérée comme substantielle lorsqu’elle représente au moins 25% de l’activité totale. Autre situation, le salarié qui exerce un mandat social qualifié d’activité indépendante dans un autre Etat membre (par exemple, administrateur indépendant d’une société belge), est soumis à la législation de l’Etat dans lequel l’activité salariée est exercée.
En tout état de cause, lorsque la pluriactivité est caractérisée, le salarié et/ou l’employeur concernés ont l’obligation de saisir l’autorité compétente de l’Etat de résidence du salarié (en France, la CPAM), afin que celle-ci procède à une analyse de la situation et se prononce sur la détermination de la législation applicable. Une fois celle-ci définie, l’autorité de l’Etat de résidence informe l’autorité de l’autre Etat dans lequel le salarié exerce son activité, et délivre un certificat A1 au bénéfice du salarié concerné. La délivrance de ce certificat permet à l’employeur ou aux employeurs concernés de définir et de se conformer à leurs obligations en termes d’affiliation du salarié et de paiement des cotisations aux organismes de l’Etat compétent, et au salarié d’être assuré du maintien de ses droits sur l’intégralité de sa rémunération.
Si le salarié employé par une société française est soumis à un loi étrangère de sécurité sociale, l’employeur français doit se rapprocher de l’autorité étrangère compétente pour effectuer les formalités d’immatriculation de l’entreprise, puis affilier son salarié au régime étranger de sécurité sociale. Attention, alors même que le salarié ne serait plus affilié au régime français de sécurité sociale, l’employeur français reste tenu de verser les taxes assises sur les salaires (taxe d’apprentissage, formation professionnelle et participation construction) sur la rémunération de celui-ci.
Les règles en matière de fiscalité
Un salarié pluriactif exerce, par définition, son activité professionnelle sur le territoire de plusieurs Etats. Il est donc important pour l’employeur français, mais également pour un employeur étranger dont le salarié exercerait en partie son activité en France, de vérifier le traitement fiscal du salarié concerné dans chacun des Etats, et ses éventuelles obligations propres en termes de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Clarifier ces éléments dès l’origine permet à la fois de définir plus précisément le package du salarié et son revenu net après charges et impôt, et de limiter dans la mesure du possible les relations contentieuses avec les administrations fiscales des Etats concernés, plus particulièrement lorsque le salarié est en première ligne en qualité de contribuable.
Les conventions fiscales établies sur le modèle OCDE prévoient un principe d’imposition des rémunérations salariées dans l’Etat d’exercice de l’activité, sauf dans l’hypothèse où le salarié peut être considéré en mission temporaire dans cet Etat. Dans ce cas, la rémunération reste imposable en totalité dans l’Etat de résidence[1].
Un salarié est considéré en mission temporaire lorsque trois conditions sont cumulativement réunies[2] :
- Le salarié exerce son activité dans le second Etat pendant une période n’excédant pas 183 jours sur toute période de douze mois commençant ou se terminant au cours de l’année concernée (ou sur l’année civile ou sur l’année fiscale) ;
- Le salarié continue à être rémunéré par un employeur dont le siège est situé dans le premier Etat ; et
- La charge des rémunérations n’est pas refacturée à un établissement stable de l’employeur dans le second Etat.
Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, le salarié est imposable dans le second Etat (celui de l’exercice temporaire de l’activité) sur la rémunération correspondant à l’activité qui y est exercée.
A titre d’exemple, si un salarié résident fiscal français dispose de deux contrats de travail, l’un en France et l’autre en Belgique, il sera imposable en France sur la partie versée par l’employeur français et imposable en Belgique sur la rémunération versée par l’employeur belge. En effet, la deuxième condition, qui exige que la totalité de la rémunération continue à être versée par un employeur français, ne sera pas remplie dans cette hypothèse puisque le salarié a deux employeurs. Attention, si le contrat de travail français représente une partie substantielle de son activité globale (au moins 25%), il sera soumis à la sécurité sociale française sur la totalité de sa rémunération, y compris la partie versée par l’employeur belge, qui devra alors s’affilier auprès du Centre National des Firmes Etrangères (URSSAF du Bas-Rhin) pour s’acquitter de ses obligations déclaratives et de paiement.
Mais un salarié français peut être imposable dans un autre Etat alors même qu’il ne bénéficierait que d’un seul contrat de travail. En effet, l’interprétation de la deuxième condition ci-dessus, et plus particulièrement de la notion d’employeur, varie suivant les Etats. L’administration fiscale française considère jusqu’à ce jour que l’employeur est la société qui a conclu un lien juridique, à savoir le contrat de travail, avec le salarié. De nombreux Etats étrangers appliquent pour leur part la notion d’employeur économique, c’est-à-dire qu’ils considèrent que l’employeur est la société qui supporte in fine la charge de tout ou partie de la rémunération du salarié concerné, quand bien même elle ne serait pas liée juridiquement avec le salarié. C’est notamment le cas de la Belgique et de l’Italie, qui imposeront par conséquent la partie de la rémunération correspondant à l’activité exercée sur leur territoire dans tous les cas où celle-ci aura été refacturée par l’employeur français à la société utilisatrice en local. Il en résulte que toutes les mises à disposition de salariés français dans ces Etats, quelle qu’en soit la durée, conduisent à une imposition locale du salarié sur la partie de sa rémunération correspondant à l’activité exercée à l’étranger.
Le calcul des 183 jours doit également être effectué avec soin, pour déterminer l’éventualité d’une imposition d’un salarié dans un second Etat. En effet, la période de référence pour le calcul des 183 jours varie suivant les conventions fiscales. Le calcul peut s’effectuer soit sur l’année civile, soit sur l’année fiscale, soit sur toute période de douze mois. Dès que le seuil des 183 jours de présence physique est dépassé sur la période applicable au pays concerné, l’exception des missions temporaires n’est plus applicable.
Ainsi, un salarié qui passerait trois mois dans en Espagne pour le lancement d’un projet, puis y retournerait 11 jours par mois le reste de l’année pourrait rester imposable en France, sous réserve qu’il ne décide pas de passer deux week-ends ou une semaine de vacances dans cet Etat !
Enfin, un salarié résident fiscal français employé par une société allemande pour travailler entre la France et l’Allemagne sera dans tous les cas imposable en Allemagne sur la partie de sa rémunération correspondant à l’activité exercée dans cet Etat, à défaut pour son employeur d’avoir son siège en France, Etat de résidence du salarié.
La diversité des situations conduit aujourd’hui à devoir s’interroger systématiquement sur la réalité de l’activité des salariés mobiles, au-delà des dispositions purement contractuelles, pour définir les règles fiscales et sociales applicables et s’assurer du respect de celles-ci par l’entreprise et le salarié.
[1] Lorsque cet Etat est également celui d’exercice de l’activité principale
[2] La rédaction des conditions peut varier suivant les conventions, il convient systématiquement de se rapporter à la convention applicable au cas d’espèce