Outre la question de l’application de la retenue à la source sur la rémunération des mandataires sociaux non-résidents, l’arrêt Axa Group Opérations soulève le sujet de l’allocation du droit d’imposer les rémunérations concernées et de l’utilisation du critère de la présence physique, sans toutefois apporter une réponse claire.
Dans l’arrêt AXA, le Conseil d’Etat ne se prononce que sur la question de l’application de la retenue à la source. Contrairement à la Cour administrative d’appel de Paris qui avait jugé que la présence physique en Suisse du mandataire social ne permettait pas de considérer qu’une partie de sa rémunération était imposable en Suisse, le Conseil d’Etat ne prend pas position sur la répartition du droit d’imposer les rémunérations versées au titre du mandat social et sur l’application de ce critère de la présence physique.
A ce titre, le rapporteur public développait pourtant plusieurs arguments dans ses conclusions :
- il est très difficile d’adhérer à la thèse de la société selon laquelle la société aurait été tenue de soumettre les salaires à la retenue à la source au prorata du temps de travail de l’intéressé sur le territoire français ;
- dès lors qu’il n’était pas contesté que les déplacements à l’étranger effectués à l’étranger ou le télétravail réalisé depuis la Suisse se rattachaient à l’activité professionnelle de direction générale d’une société française, la cour a pu juger que la totalité de la rémunération était de source française ;
- « Il y a en effet lieu de présumer – c’est une présomption simple, mais à notre avis très forte – que toutes les sommes qu’une société établie en France paye à son dirigeant au titre de son mandat social constituent la rémunération d’une activité professionnelle exercée en France ».
La Cour administrative d’appel de Versailles est à nouveau revenue, dans un arrêt du 15 mai 2024, sur ce critère de la présence physique, qui était pourtant retenu de longue date par la jurisprudence pour déterminer le lieu d’imposition des rémunérations, y compris pour les mandataires sociaux (voir CAA Paris 19 avril 2004, n°00-2288, arrêt définitif) :
La Cour semble reprendre à son compte l’argumentaire du rapporteur public dans l’arrêt AXA :
- La société par actions simplifiée a son siège social et son établissement principal en France et exerce son activité en France.
- Mme B exerçait des fonctions de président-directeur général.
- Il n’est pas contesté que les rémunérations versées par la société à Mme B sont la contrepartie de fonctions effectives de direction qu’elle exerçait quotidiennement, quand bien même elle ne travaillait pas en permanence sur le territoire français.
- Dès lors, ces rémunérations doivent être regardées en totalité comme des revenus de source française au sens et pour l’application des dispositions précitées, et étaient imposables dans la catégorie des traitements et salaires.
- Si Mme B fait valoir que sa rémunération aurait dû être soumise à l’impôt sur le revenu après répartition du pouvoir d’imposer entre les deux États au prorata du temps d’exercice de ses fonctions dans l’un ou l’autre de ces États, elle n’apporte aucun élément de nature à établir que le lieu d’exercice de son emploi de président-directeur général de la société, qui était une société française dont le siège et l’établissement social étaient en France, se situait dans un autre Etat. La circonstance qu’elle n’était pas en permanence physiquement présente sur le territoire français est à cet égard dépourvue de portée.
Le critère de la présence physique est une nouvelle fois remis en cause, créant un fort risque de double imposition pour le contribuable concerné.
Doit-on y voir un fort mouvement de remise en cause de ce critère de la présence physique ? Ce courant est à rapprocher de la position prise par le Tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 12 avril 2023, sur la situation de François-Henri Pinault, résident fiscal français, et l’imposition de ses rémunérations d’exercice du mandat social de directeur général de Kering SA.
Le Tribunal a considéré, pour refuser d’appliquer le crédit d’impôt prévu par la convention franco-britannique, que les rémunérations concernées étaient imposables exclusivement en France, dans la mesure où M. Pinault n’établissait pas que sa présence au Royaume-Uni découlait d’exigences professionnelles opérationnelles avérées, rendant sa présence dans cet Etat indispensable pour les besoins de l’exercice de son mandat social. Il n’établissait pas, en conséquence, avoir exercé son emploi de directeur général de Kering SA au Royaume-Uni, quand bien même il aurait été présent physiquement dans cet Etat pour une partie substantielle de l’année concernée.
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A ce stade, d’importantes questions restent non résolues :
- Quelles preuves pourraient être admises pour renverser la présomption d’exercice de l’activité en France à défaut de prise en compte de la présence physique ?
- Cette position est-elle limitée aux mandataires sociaux ?
C’est ce que pourraient laisser entendre les conclusions du rapporteur public :
« (…) Nous parlons bien de la rémunération du mandat social, pas de la rémunération distincte que le dirigeant est le cas échéant susceptible de percevoir, en vertu d’un contrat de travail conclu avec la société dont il est le dirigeant, au titre de l’exercice de fonctions techniques distinctes des attributions relevant du mandat social (…) ».
Dans l’attente de la prise de position du Conseil d’Etat, l’incertitude reste de mise pour les mandataires sociaux concernés.